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LES BATISSEURS D’UN TIERS ESPACE, L’IMPLICATION DE LA RECHERCHE-ACTION, rencontre avec Hugues Bazin


Rencontre d'Alexis Durand Jeanson avec Monsieur Hugues Bazin, chercheur indépendant en sciences sociales, du Laboratoire d'Innovation Sociale par la Recherche-Action, qui co-construit avec nous un programme pluriannuel sur la maîtrise d'usage, la "rue marchande" et la communauté d'éco-recycleurs (biffins, ressourceries, Emmaüs, Cafés Repair, Puces...).

Si vous souhaitez des infos sur ce programme de projets, n'hésitez pas à le contacter directement pour en parler !

www.recherche-action.fr/hugues-bazin -  bazin@recherche-action.fr



Un article proposé par Hugues Bazin, avec la libre intégration de visuels illustratifs par Via Paysage.

Introduction

Les sciences sociales ne se conçoivent pas seulement dans le secret des laboratoires universitaires et ne s’apprennent pas uniquement dans l’alcôve des bibliothèques, c’est un processus autant intellectuel que situationnel, une compréhension des questions sociales autant qu’une démarche engagée en société.

La recherche-action enracine cette conception au cœur de la réalité humaine. C’est une parole en acte, une pratique avant d'être un discours. Elle ne craint pas les situations complexes. Son mode d’implication offre la capacité de tirer un savoir des pratiques sociales et d’accéder ainsi à la compréhension d’un fait social dans la totalité de ses composantes. 

Cela conduit au principe que la transformation provoquée par une action peut être source d'une connaissance qui sera immédiatement réinvestie en situation dans le processus en cours. C’est une manière d’indiquer que les domaines de l’action et de la recherche ne sont pas séparables. 

C’est une connaissance « par » et « pour » l'action qui informe ce qu'elle décrit dans une relation circulaire.

La recherche-action n’est pas de la recherche et/ou de l’action, elle est dans cet aller-retour qui amène à sortir et retourner à l’action. 

Elle s’incarne dans la posture hybride de l’acteur-chercheur qui se situe ni comme acteur, ni comme chercheur mais dans cette boucle. Effectivement, le premier porteur d’une recherche-action fait déjà partie en tant qu'acteur de son de champ de recherche (fielworker), il est acteur avant d'être chercheur, puis développe une réflexivité où il se prend lui-même et la situation vécue comme matériaux de recherche.

La recherche-action se distingue pour cette raison à la fois de la « recherche positiviste »[1] qui sépare la posture de recherche de l’implication en situation et de « l’ingénierie de projet » qui sépare la posture de l’expert du praticien. 

Évitant la coupure méthodologique, sectorielle ou disciplinaire, la recherche-action est à la fois une pensée qui relie et une mise en lien qui produit de la connaissance. Cette « éthique de reliance » pour reprendre la terminologie d’Edgard Morin[2] aborde le pragmatisme de l’intelligence sociale[3] et la science de la complexité[4] comme les deux faces d’une même réalité processuelle.

La réflexion est donc systématiquement mise en œuvre dans le dispositif d'action tout en gardant une visée pratique qui tente de répondre le plus justement possible aux problèmes posés concrètement. C’est en cela une action associée à une stratégie qui nourrit une science de la pratique ou « praxis » : une action informée par une théorie pratique qui, en retour, informe et transforme cette théorie dans une relation dialectique. 

Dans ce mouvement d’autoformation, l'acteur-chercheur accroît son niveau de compétence. Il prend conscience de sa capacité d'auto expertise et de son rôle historique d'orienter le cours des événements.

Nous allons présenter plusieurs dispositifs représentatifs du champ contemporain d’implication et d’application d’une démarche de recherche-action : formation par la recherche-action, laboratoire social. Nous envisagerons ensuite comment ce « tiers espace » social et scientifique se conçoit comme une « architecture fluide ».

Tiers espace scientifique et laboratoire social

La recherche-action se montre pertinente partout où  l’humain est au centre des préoccupations comme acteur et auteur de changements et de connaissances. Elle prend logiquement toute sa place dans les domaines d’activité privilégiant le développement humain et sa créativité : l’éducation, le développement local et social, la santé, le travail social, l’action culturelle, l’éducation populaire, l’économie solidaire, l’innovation sociale, etc. 
Nous pouvons inclure le domaine architectural, c’est la proposition de notre contribution que nous développerons en dernière partie.

Ces domaines d’application de la recherche-action appartiennent le plus souvent à champ d’activité appelé « tiers-secteur ». On pense évidemment au milieu associatif, coopératif et mutualiste et au champ de l’économie sociale et solidaire. Mais nous n’indiquons là que des statuts, des logiques sectorielles hétérogènes, parfois contradictoires. En outre, quelle serait la définition d’un « tiers-secteur scientifique » ? Il ne saurait se réduire aux chercheurs et aux recherches travaillant « dans » ou « sur » le tiers-secteur socio-économique.

L’analogie du tiers-secteur scientifique avec le tiers-secteur économique ne semble donc pas totalement probante bien qu’ils se croisent sur des aspects méthodologiques et éthiques : la dimension collaborative, le souci d’un fonctionnement démocratique, la dé-hiérarchisation des savoirs « savants » pour une réappropriation « profane », la réponse à des besoins sociaux et la capacité à élaborer des alternatives. 
Mais le tiers-secteur scientifique n’est pas une position intermédiaire, c’est une forme hybride. C’est un espace qui se définit par le milieu (une posture liée à un mode d’implication), non par ses bornes  (un statut ou un métier lié à un domaine d’application).

La notion de « tiers espace » serait alors plus en mesure que « tiers-secteur » de définir ce champ d’activité. 
La formation par la recherche-action, la recherche collaborative, le laboratoire social sont représentatifs de ces formes d’hybridation qui « poussent du milieu ».  Nous allons présenter ci-dessous ces champs d’implication et d’application de la recherche-action qui témoignent en France de la vivacité et de la variété d’un tiers espace scientifique.

Les formations par la recherche-action

Les ateliers coopératifs

Les ateliers coopératifs sont une déclinaison du caractère instituant de la formation en recherche-action. Ils prennent différents énoncés à l’instar des ateliers coopératifs de recherche-action (ACORA) impulsés par Christian Hermelin[5]

Le principe est de s’appuyer sur les dynamiques en atelier pour favoriser l’émergence d’un « chercheur collectif ».


"Faire culture autrement, espaces numériques et recherche-action", ©Parcoursnumeriques.net

L'atelier offre une unité de temps, de lieu et d'action avec un rythme de rencontres et se donne un objet limité, défini à partir des pratiques communes aux membres. Ces contraintes contribuent à structurer la conduite de recherche. Les réunions d’acteurs autour de problématiques communes amènent dans un temps donné à une production collective qui se finalise par un écrit de recherche.

Le chercheur collectif est un groupe-sujet de recherche dépassant l’addition des postures socioprofessionnelles pour construire une position collective négociée tout en permettant à chacun de se réapproprier le fruit de ce travail collectif. « Il existe un rapport étroit entre la production de connaissances et la capacité d'un groupe, d'une classe sociale, d'un ensemble professionnel, de se produire comme collectif, c'est-à-dire de se poser à la fois comme sujet, mais aussi comme réalité sociale à reconnaître »[6].

Enfin les ateliers coopératifs peuvent s’insérer dans des configurations plus vastes permettant de partager leurs travaux : des « chantiers » liés à d’autres dispositifs ou des « forums » ouverts à un public.

La formation-action

La « formation-action » ou « action learning » est une manière d’amener la recherche-action dans les milieux sociaux-professionnels, généralement à la demande des sites de travail pour répondre à un besoin spécifique. 

La formation-action s’apparente à des techniques de management lorsqu’elle est tributaire des contingences socio-économiques et organisationnelles. Mais elle peut devenir une recherche-action lorsque devient centrale la nécessité de lier la connaissance à une transformation. Inversement une recherche-action peut intégrer un moment de son processus un module de formation-action pour développer une expérimentation (voir « laboratoire social »).

L’« apprentissage expérientiel » est l’une de ces passerelles entre recherche-action et formation-action. Son principe « agir pour comprendre, comprendre pour agir » s’appuie sur des cycles alternant action et réflexion initiés par David Kolb[7] à la croisée des travaux antérieurs de John Dewey et Kurt Levin : partir de l’expérience concrète, puis l’observation réfléchie, puis la conceptualisation abstraite, puis l'expérimentation active pour revenir à l’expérience concrète.

Les laboratoires sociaux

Le laboratoire social décrit le dispositif qui combine les champs d’application de la recherche-action, de la formation-action et de l’expérimentation sociale. Une acception large considère « laboratoire social » toute situation sociale singulière ou originale dont on peut extraire une connaissance qui nous éclaire sur des questions de société. 

L’approche scientifique pour dégager des enseignements généraux d’une situation par définition particulière doit réunir plusieurs conditions :

  •        La situation doit être suffisamment délimitée dans un continuum espace-temps pour en cerner toutes les relations internes (un quartier ou même le coin d’une rue peut offrir le cadre d’un laboratoire social, difficilement toute l’agglomération).
  •        Le groupe concerné doit atteindre une masse critique pour que le jeu d’interactions provoque une forme systémique, cela ne dépend pas uniquement du nombre de personnes, mais aussi du type de rapports sociaux (un groupe restreint en conflit interne avec son institution peut transformer celle-ci en laboratoire social, c’est le principe de l’analyse institutionnelle).

La recherche-action développe ces critères sous l’angle spécifique d’une recherche impliquée. Le laboratoire social n’est pas déterminé par la conception de l’intervenant professionnel. Ce n’est pas à lui de dire quand et où une situation devient laboratoire social, il ne peut qu’en faciliter l’émergence. Dans ce sens, un atelier coopératif peut aider à la constitution d’un chercheur collectif majoritairement composé de non professionnels de la recherche. 

C’est alors dans la relation circulaire de ce chercheur collectif avec un contexte social que se forme le laboratoire qui devient une entité sociale nouvelle et autonome se prenant elle-même comme matériaux de recherche.

Le chercheur collectif est une manière de répondre au triple constat posé par le laboratoire social :
  •         L’addition des intelligences individuelles ne suffit pas pour résoudre les problèmes sociaux, il est nécessaire de favoriser le développement d'une intelligence sociale
  •       Les dispositifs classiques sont absents ou inadéquats pour prendre en compte la complexité des situations contemporaines, il est nécessaire de concevoir de nouveaux modèles et outils de recherche et d’action selon une forme collaborative.
  •       Sortir de l’injonction de l’efficacité, de la communication, du résultat induit dans la commande institutionnelle par une logique de marché concurrentiel dans laquelle sont mis les porteurs de projet.

La fabrication d’un laboratoire social comporte ainsi plusieurs dimensions :

-          Mise en place d’un atelier coopératif et élaboration d’un chercheur collectif qui participent d’une communauté de pratiques et d’expertises nourrissant un corpus de connaissances.
-          Cycle de formation-action facilitant la mobilisation et le réinvestissement des compétences en situation dans les cadres socioprofessionnels.
-          Expérimentation sociale pour valider de nouvelles configurations collectives et poser un référentiel dans le champ d’activité concerné. L’expérimentation emprunte ses outils à la méthodologie positiviste comme processus itératif de correction constante d’hypothèses confrontées aux résultats d’actions[8].

Évidemment, de nombreuses combinaisons sont possibles entre ces différentes étapes pour correspondre le mieux aux situations. Nous comprenons que le laboratoire social se situe principalement dans le champ instituant et pour cette raison est mal reconnu par l’institution comme unité de recherche. 
À la différence des Collèges Coopératifs, il ne s’adosse pas sur un réseau universitaire pour valider une formation ou une expérimentation. Il s’appuie sur un tiers espace de l’activité humaine et revendique à ce titre la pleine correspondance avec un tiers espace scientifique, notamment par la légitimation de la posture hybride de l’acteur-chercheur. Cela n’empêche pas le laboratoire social de négocier suivant les contextes un partenariat collaboratif pouvant valoriser la connaissance issue de l’expérimentation sociale et encourager l’innovation.

La création en 2009 du Laboratoire d'Innovation Sociale par la Recherche-Action (LISRA[9]) sous l’impulsion d’un travail d’acteurs-chercheurs en réseau animé par Hugues Bazin[10] correspond à la volonté de mettre en lumière l’architecture fluide d’un tel processus d’auto-fabrication en situation.


"Principes du laboratoire social" ©Recherche-Action.fr


Le LISRA a contribué dans plusieurs régions à la mise en place d’« ateliers publics d’auto-formation par la recherche-action », de sessions de rencontres appelées « journées interstices » favorisant, entre déambulation physique et mentale, les croisements transdisciplinaires et le partage sous différents supports des travaux des participants, d’accompagner des expérimentations qui se sont intégrées ensuite dans des logiques de développement. 

Cette production de connaissance a nourri en 2010 et 2011 un séminaire à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord sous l’intitulé « pratiques des espaces et innovation sociale »[11].

Architecture fluide et principe d’architecture située

Nous proposons d’établir à partir du cadre méthodologique précédemment exposé, une mise en correspondance entre tiers espace scientifique et tiers espace architectural.

Le principe d’’architecture fluide conduit à une redéfinition des paramètres d’expériences et un renouvellement des outils de conception, notamment à travers un processus d’appropriation qui ne part pas du cadre bâti, mais des matériaux (humains, matériels, technologiques, environnementaux). Elle confirmerait la dimension vivante et créative de la ville, de l’usage à sa conception, comme un espace architectural en mouvement. Elle contribuerait à une écologie du tiers espace, à l’instar de ces tiers paysages interstitiels ou encore non attribués susceptibles d’accueillir une diversité d’acteurs et de dispositifs. 

Les formes de la vie sociale ne sont pas rigides et déterminée de l’extérieur comme le démontre la recherche-action.

L’architecture fluide se conçoit alors comme un mode de structuration spatial, scientifique et social instituant, mais non institué, mobile, modulaire, adaptable, transposable et évolutif entre différents champs de l’expérience correspondant à la capacité de créer des situations autonomes s’appuyant sur des formes d’organisation souples. Ce point de vue induit un changement radical de paradigme dans la manière de concevoir le travail sur les espaces urbains où nous passons d’une « ingénierie de projet » à une « maîtrise d’usage ».

Dans ce mouvement d’innovation par le bas, au « rez-de-chaussée des villes », ce sont les usagers qui inventent des services nouveaux à travers des nouvelles pratiques sociales.

L’usager citadin de simple utilisateur, devient co-concepteur des services urbains, compétences jusqu’à maintenant réservées aux autorités et aux professionnels de l’urbanisme.

Les communautés de pratiques n’ont plus besoin d’un projet imposé verticalement par un pouvoir techniciste, mais d’abord de se réunir dans les usages des espaces autour de formes d’implication et d’application telles que les processus de résilience et de reliance[12]

Peuvent ainsi être validés en situation des outils méthodologiques et conceptuels alimentant des réseaux de partage de connaissance « open source » propre à la culture numérique.

C’est « une architecture de l'Intelligence de la Complexité » qui est de l’ordre du « déploiement plutôt que du découpage »[13]. Ce qui permet de concevoir le rapport espace-temps dans l’articulation entre mobilité spatiale, mentale et sociale au lieu de considérer ces mobilités comme des « problèmes » séparés à traiter et par conséquent insolubles. 
Ces espaces architecturaux en pli « instaurent une tension permanente entre le flux et le lieu. Les sites investis, les territoires marqués rejoignent de nouvelles manières d’habiter ou de vivre l’espace et encouragent de nouvelles expériences sociales »[14].

Où se logent ces espaces urbains hybrides qui favorisent la mutation des pratiques et des lieux à partir d’un travail sur les matériaux ? Les fab-labs[15] et les tiers lieux[16] en sont un exemple. 

Déjà depuis plusieurs années, la culture numérique nous enseigne que nous pouvons produire nous-mêmes les objets du quotidien, concevoir une façon de travailler en collaboration. Si l’on peut produire soi-même son énergie, ses modes de déplacement, ses outils, ses méthodologies, ses concepts, il n’est donc pas déraisonnable d’imaginer que nous puissions de cette façon produire la ville à l’image de l’écodéveloppement des circuits courts. 

Finalement, les innovations d’auto construction, d’auto fabrication, de transformation, de recyclage sont réappropriées et ainsi se socialisent en répondant à la nécessité des situations de pénurie ou de crise. Nous pourrions tout autant citer l’architecture végétale des jardins partagés ou l’autofabrication des « Zones à Défendre ».

Retrouver un pouvoir sur les objets répond aux besoins d’instaurer une économie contributive. Développer un art de la pratique aboutit à de nouvelles formes d’urbanité, à vouloir s’émanciper et à s’autoformer dans un dialogue entre travail de la matière et travail de la culture. Expérimenter par l’assemblage des matériaux, des idées, des compétences participe d’un « art du bricolage »[17]

Les pratiques d’une culture populaire du bricolage souvent dévalorisée par la culture officielle académique peuvent être ici réhabilitées comme mode d’exploration et de transformation du réel.


Un livre à mettre entre toutes les mains ... ©Etienne Delprat, Editions Alternatives


Michel de Certeau[18] avait déjà ouvert la voie à une reconnaissance des formes de détournement, déviance, braconnage comme pratiques populaires d’une culture de la résistance ou «dissidences récréatives »[19] qui n’excluent pas le caractère ludique et le plaisir. Le « bâtisseur » se distingue de l’architecte pour souligner que l’architecture n’est pas simplement une réponse à un besoin fonctionnel. 

Il s’agit d’affirmer la possibilité d’être auteur de sa propre vie et engager un dialogue avec le monde. C’est recentrer l’habiter dans ses dimensions anthropologiques, symboliques, culturelles et écologiques.

En quoi les pratiques du bricolage peuvent être utiles à redéfinir les rôles dans les re-configurations de nos univers bâtis ? 
La réponse n’est pas simple, car « la prise en compte de l'aléatoire dans l'œuvre, le dialogue avec le matériau, l'absence de projet, l'utilisation des rebuts sont autant de notions propres au bricolage qui semblent étrangères au domaine de l'architecture »[20]Ainsi, l'absence de structure prédéfinie et l'évolutivité constante s’apparentent à une hérésie technique. Il existe donc une tension entre la figure de l’architecte et du bricoleur, du technicien et du praticien, du savant et du populaire. Une nouvelle génération propose de dépasser cette opposition en utilisant par exemple le néologisme « bricolagisme »[21].

Libre, spontanée, sauvage, autodidacte, novatrice, éphémère, iconoclaste, hasardeuse, primaire et bien souvent considérée comme marginale [22] l’architecture du bricoleur n’est finalement que la mise en concept et en pratique d’une évolution que l’on observe tous les jours et qui invite le métier d’architecte à se réinventer. 

« De nouvelles exigences de démocratie participative interrogent le projet en architecture pour prendre en charge les nouvelles données de notre environnement contemporain à travers une réévaluation de la transformation, du recyclage...du bricolage en somme »[23].

L’implication des habitants et des usagers dans la « fabrication de la ville »[24] reste toujours une question en suspens, souvent invoquée, mais rarement appliquée dans un renversement de la logique verticale du triangle opérationnel élu (maîtrise d’ouvrage), technicien (maîtrise d’œuvre), usagers (maîtrise d’usage)

Un urbanisme « en situation » ou « architecture située »[25] interroge inévitablement dans un contexte multi-acteurs les modes hiérarchiques de gouvernance, de production de connaissance et la conception fonctionnaliste d’un projet.





[1] La tradition positiviste à l’instar des sciences naturelles, pense que le monde social est soumis à des lois impersonnelles qu'on doit pouvoir découvrir par des méthodes scientifiques sans entrer dans le jeu des interactions humaines et de leurs interprétations. L'homme, les faits sociaux sont considérés comme des objets d'une science « objective ».
[2] Edgar Morin, La méthode 6 "Éthique", Pairs, Éditions du Seuil, coll Points Essais, 2006 .
[3] L’intelligence sociale se traduit par la capacité à créer du lien : la compréhension collective d’une situation et la résolution d’un problème nécessitent des liens inédits entre les éléments hétérogènes d’un contexte. C’est une conjugaison de stratégies, de concepts, d’idées entre la recombinaison d’éléments existants et la recherche de modèles alternatifs. Elle participe à des formes écosystémiques remédiant au manque de moyens ou de reconnaissance. Elle contribue au capital social des « personnes sans capital ».
[4] Selon la pensée complexe, à l’image du fil et de la tapisserie « le tout est dans la partie qui est dans le tout. Un tout est plus que la somme des parties qui la constituent». Cette approche permet d’accéder au réel dans sa totalité et dans son évolution. C’est un système ouvert qui intègre les notions de crise, de désordre, d'auto organisation, de hasard, d'incertitude.
[5] Christian Hermelin, L'acora (atelier coopératif de recherche-action), construction collective de savoirs d'acteurs en société, Paris, L’Harmattan, (Coll Recherche-action en pratiques sociales), 2009.
[6] Pierre-Marie Mesnier, Philippe Missotte, La recherche-action, une autre manière de chercher, se former, transformer, Paris, L’Harmattan, (Coll Recherche-action en pratiques sociales), 2004, p14.
[7] David Kolb, Experiential learning: Experience as the source of learning and development, Englewood Cliffs New.Jersev, Prentice Hall, 1984.
[8] Il s’agit de définir une situation idéal-type qui permet de se projeter et faire évoluer la situation initiale (A), celle que l’on vit actuellement vers une situation intermédiaire (B), celle que l’on va expérimenter. Passer à la situation B, la mesure de l’écart entre A et B en fonction de l’ideal-type permet d’affiner l’outillage d’évaluation et de problématiser les enjeux modifiant l’idéal-type. Un nouveau cycle A’ vers B’ peut alors s’engager et l’idéal-type devient un référentiel permettant de diffuser publiquement les acquis de l’expérimentation. Nous avons procédé de cette manière avec un groupe d’intervenants artistiques à partir de la situation de l’atelier-résidence. Cela a permis de problématiser les conditions d’entrées (commande) et de sortie (production) de l’atelier résidence ainsi que de comprendre comme il pourrait constituer un écosystème basé sur un art du bricolage (idéal-type).
[9] http://recherche-action.fr/labo-social/
[10] Hugues BAZIN, Espaces populaires de création culturelle : enjeux d’une recherche- action situationnelle, Paris, Éditions de l’INJEP, Revue Cahiers de l’action, 2006.
[11] Les actes des rencontres du LISRA sont en téléchargement sur http://recherche-action.fr/ressources/docs-en-telechargement
[12] La « résilience » décrit un acte de reconstruction en utilisant ses propres ressources situationnelles, une capacité à rebondir et prendre confiance. La « reliance » décrit la capacité à faire des liens qui dépasse l’addition des éléments isolés pour rejoindre un système complexe et enrichir un capital social. Nous faisons par exemple référence au projet « R-urbain » animé par l'Association des Architectes Autogérés dans une ville de la banlieue parisienne qui est une expérimentation globale mêlant agriculture urbaine, économie sociale et solidaire, culture locale et réflexion sur l’habitat, dans une logique de création de réseaux locaux et de circuits courts. Il s'agit donc de partage de ressources (matériaux de fabrication, jardins partagés, énergie) par la création dans des espaces non attribués de nouveaux dispositifs e équipements.
[13] Jean-Louis Le Moigne, Edgar Morin, L'intelligence de la complexité, Paris, Harmattan, 1999, p.18.
[14] Patrick Barrès, « L’espace architectural en pli. Pratiques du lieu et du flux », Communication et organisation, 32 | 2007, p.52-63.
[15] Un fab-lab (abréviation de Fabrication laboratory ou atelier de fabrication) est une plate-forme ouverte de création et de prototypage d’objets physiques, « intelligents » ou non. Il s’adresse aux entrepreneurs, concepteurs, designers, artistes et tous bricoleurs qui veulent passer plus vite du concept au prototype ; désireux d’expérimenter et d’enrichir leurs connaissances en matière de pratique numériques. Les Fab-Labs sont conçus comme une ressource communautaire en libre accès. Ils se reconnaissent dans une charte commune dans le cadre d‘un réseau international.
[16] « La Troisième Place » ou « Tiers Lieux » est un terme traduit de l'anglais « The Third Place » (Ray Oldenburg , The Great Good Place, New York, Marlowe & Company, 1991). Il fait référence aux environnements sociaux se distinguant de la maison et du travail selon des règles d’une spécialisation non-exclusive. Cet entre-deux libre, « ouvert en bas de chez soi », permet d’accueillir une diversité selon une logique de travail collaboratif nomade (« coworking ») augmenté par l’appropriation des outils numériques. Les tiers lieux ont leur manifeste (http://movilab.org/index.php?title=Le_manifeste_des_Tiers_Lieux)
[17] Hugues Bazin, « Art du bricolage, bricoleurs d’art », Les cahiers d’Artes, L’art à l’épreuve du social, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, p. 95-113.
[18] Michel De Certeau, (1re éd. 1980) L’Invention du quotidien, tomes 1&2, Paris, Gallimard, 1990.
[19] Florian Lebreton et Philippe Bourdeau, Les dissidences récréatives en nature : entre jeu et transgression, EspacesTemps.net, Travaux, 2013.
[20] Marielle Magliozzi, Art brut, architectures marginales : un art du bricolage, Paris, L’Harmattan, 2008, p.14.
[21] Entre architecture « savante » et « sauvage » le « bricolagisme » se revendique comme une posture éthique et critique de l’architecture contemporaine : Baptiste Clouzeau, Bricolagisme ou le bricolage en architecture. Des pratiques marginales peuvent-elles amener à une transformation du métier, mémoire de recherche, École Nationale Supérieure d'Architecture, Lyon, 2013.
[22] Dans cette déconstruction de l'acte architectural, des mouvements revendiquent une « anarchitecture » qui renverse les règles de constructions et en prend le contre-pied, une architecture rebours comme Gordon Matta-Clark (1943-1978) qui se base sur un art radical du détournement.
[23] Jérôme Gueneau, « Espèces d’espaces, de l’architecte, du bricoleur... », Actes des 3èmes journées doctorales de l’Institut Interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain, EHESS, 2012, p140.
[24] Véronique Biau, Michael Fenker, Élise Macaire , s/ dir, L’implication des habitants dans la fabrication de la ville. Métiers et pratiques en question, Paris, Éditions de la Villette, Cahiers Ramau n°6, Paris, 2013.
[25] Jean-Paul Loubes, Traité d’Architecture Sauvage. Manifeste pour une architecture située, Paris, Éditions du Sextant, 2010.